Eloge de la banalité
Qu’est-ce qui peut inciter des artistes à parcourir pour les transcrire des territoires qui ne semblent pas présenter plus d’intérêt – voire même beaucoup moins – que d’autres ? Pourquoi s’attacher à composer des itinéraires de promenade dans des endroits qui sont rien moins que touristiques ?
Qu’est-ce qui me pousse à rechercher derrière l’absence de toute beauté convenue, les étincelles secrètes du plaisir d’exister?
Mon travail artistique a aiguisé mon regard, et je m’intéresse depuis longtemps à la définition de la banalité – dans ce qu’elle peut avoir, justement, de spectaculaire – dans son intérêt caché.
A Malley, c’est le vide qui m’a frappée pendant notre balade.
Des rues, des façades, des passages, des lieux de stockage en plein air, des parkings, des voies de chemin de fer…
Pas vraiment déserts, juste étrangement silencieux.
Oh ! Des gens, il y en avait. Pourtant ils restaient comme extérieurs : images fugitives entraperçues devant un bâtiment, devinées derrière une fenêtre, au loin sur un chantier ou à l’abri de voitures arrêtées !
Le quartier m’a surprise par sa vacuité. Me laissant un sentiment d’attente… comme si une suspension s’y était instaurée…
Un devenir entre parenthèses.
Préfigurant peut-être un bouleversement urbain déjà perceptible à quelques bâtisses récentes qui semblent posées là dans une incohérence muette.
Tout au long de la promenade, j’ai cherché à mettre en lumière ma perception de ce vide, de l’activité secrète et comme un peu honteuse que je percevais autour de moi.
En arpentant ces rues et ces espaces déserts, j’ai tenté de traduire les ambiances, leurs contrastes et leurs demi-teintes. Je me suis attachée aux détails aussi, ceux qui projettent le regard dans un tourbillon de vies et d’histoires intimes.
Dans mon travail je veux parler de ce qui ne se voit pas, ou qui ne se voit plus à force d’habitude.
Je traque l’envers du décor.
Je recherche l’étrangeté, la surprenante beauté de la banalité.
Souvent il suffit d’un regard, d’un cadrage ou d’une posture pour que tout bascule, et glisse entre deux niveaux d’une même réalité…
J’ai confié mes images à des personnes étrangères au quartier pour qu’elles créent les légendes qui les accompagneraient. Les amis proches ou plus lointains qui se sont prêtés au jeu ne connaissaient pas les lieux d’où provenaient mes clichés.
Sans ancrage autre que celui que l’image pouvait induire, ces légendes reflètent et amplifient l’étrange sentiment d’attente qui se dégage du quartier.
Cette seconde expérience commune, beaucoup plus aboutie que la première, nous laisse, Katalin et moi-même, dans l’attente.
Celle de recommencer ailleurs, bientôt, nos errances de chasseuses d’image à offrir en partage sur une application Web