*** Lumière sur une artiste ***
Marie Bagi vous présente,
Jeanne Schmid
« Artiste peintre »
Aujourd’hui je vous présente l’artiste peintre Jeanne Schmid qui m’a chaleureusement accueillie dans son bel et spacieux atelier à Montreux où règne une ambiance de création sereine et lumineuse. […]
Née à Carouge, près de Genève, Jeanne a été élevée dans un milieu égalitaire où aucun clivage n’était présent. Elle vit entre Genève et la Haute Savoie, mais réalise toute sa scolarité à Genève. Vers dix-huit ans, elle part seule en Ardèche où elle passe son baccalauréat. C’est à la fin de ce parcours qu’elle rentre à Genève et intègre les Beaux-Arts […]
Jeanne possède des formations diverses mais c’est uniquement lorsqu’elle crée qu’elle se sent bien.
Lorsqu’elle était enfant, Jeanne avait appris la guitare mais s’en lassée, à force de pratique. Avec son esprit créatif, elle a trouvé un moyen de recycler les cordes de son instrument pour en faire une sculpture. C’est là que tout a commencé – son premier médium ; d’une envie de les tordre, de les modeler pour leur donner une forme et un but différent de celui pour lequel elles étaient destinées. Ainsi, ces corps ont pris forme dans l’espace, ce qui fascina l’artiste. La fascination du trait mais aussi de la surface relève d’un besoin d’avoir quelque chose dans la main pour laisser la trace d’un mouvement. La trace audible ou palpable est la traduction du moment qui fait sens pour l’artiste. […]
En 1997, lorsqu’elle est sur son vélo, […] elle est percutée violemment par une voiture allant à toute allure et qui fuit la scène[…] Avant ce malheureux accident, elle sculptait, depuis, elle a dû se réinventer dans le dessin et la peinture. Cela s’est passé lorsqu’elle était une jeune artiste émergente. Elle a eu des difficultés à revenir sur le marché […]après cet arrêt involontaire. Elle ajoute qu’elle a perdu mais aussi gagné vingt ans, cela dépend dans quel sens les choses sont prises. […]
Jeanne revient sur son travail de sculptrice qu’elle a été contrainte d’abandonner. Pour elle, c’était un moyen de garder l’aspect physique de la création en continuant à danser dans l’espace environnant. C’était un travail très physique qui demandait beaucoup d’équilibre et de maîtrise – ce qu’elle ne peut malheureusement plus exécuter depuis son accident. Elle est, en effet, très intéressée par l’idée de définition de l’espace. […] Pour elle il prend tout son sens à travers les lignes et surfaces de la sculpture qui le définissent.
Puis elle me parle de son travail en cours dont une idée de cercles plane et se concrétise sur papier. C’est comme une évidence, me dit-elle.
C’est son séjour en Provence qui l’a amenée petit à petit à son travail de peintre, puisqu’à cette époque, elle s’intéresse aux fresques murales, et en réalise un certain nombre dans des maisons de la région. Elle ajoute, en riant, qu’elle coinçait ses pinceaux dans ses cheveux ou encore entre ses orteils. Le pinceau est alors devenu un compagnon qui ne l’a plus quittée. Fascinée également par l’encre de chine, Jeanne va aussi l’utiliser et l’apposer sur papier toujours à l’aide d’un pinceau.
Son intérêt est alors rehaussé par la manière dont les choses sont mises en place par le mouvement. Ainsi, elle en vient à me parler de ses cercles « Enso » qui sont formés par une ligne ouverte. Elle me répète que c’est une évidence. Elle choisit le dosage de l’encre mais ce n’est jamais un cercle parfait. Il y a d’ailleurs diverses tailles de cercle réalisés avec diverses tailles de pinceaux. Jeanne est fascinée par cette forme ainsi que par le mouvement qui l’exécute. Elle l’a d’ailleurs décliné en tempera ; un incroyable challenge car la forme ne peut pas être retravaillée.
Trois jours de préparation du support sont nécessaires, continue-t-elle. Une sorte de mise en condition, c’est très méditatif. Elle me dit qu’elle fait corps avec ce qu’elle fait et que son support de prédilection est le papier.
Elle va d’ailleurs s’y projeter car elle doit décider du mouvement à réaliser – une minute à réaliser le cercle. Une danse corporelle sur de larges supports comme une promenade sur ce dernier afin d’y construire un monde, un univers qui se matérialise, à son plus grand bonheur.
Parfois, elle réalise du figuratif en rapport avec ce que nous vivons actuellement.
Besoin de reconnexion avec la nature, elle est aussi allée récupérer des souches trouvées en forêt et les utilise régulièrement comme matrices sur papier. A travers cette utilisation, Jeanne a l’impression qu’une réelle communion avec l’arbre se matérialise à nouveau. Ce qui n’existe plus est à nouveau en vie mais d’une différente manière.
En se baladant autour de certaines de ses œuvres, Jeanne me montre un travail réalisé sur la thématique du volcan et de l’eau.
Ce dernier a vu le jour l’année dernière en réaction à ce que nous vivions – coulions car plus de revenus. Un oiseau est visible sur une autre toile tel un espoir de survie, d’envol. Elle me montre ensuite un carnet fait main où des empreintes de souches dévoilent des pigments de couleurs variées. Elle me confie alors que ce sont des pigments qu’elle a elle-même réalisés à partir de fleurs. En regardant ces couleurs et ces empreintes, j’ai la sensation d’avoir les cerveaux de Louise Bourgeois (1911-2010) qu’elle avait réalisé dans ses Femmes-maisons (1947). Elle me dit alors que la gravure est un médium qui l’a intéressée depuis l’adolescence mais elle dût se résoudre à l’abandonner faute de moyens.
Le principe de reproduction, elle l’aime, en général. La recherche des couleurs et l’impression – monotypes rehaussés – sont ce qui l’animent. Le jour où elle sera satisfaite d’elle et de son travail, elle s’arrêtera – mais cela n’est pas près d’arriver, me dit-elle en riant.
Le rapport entre elle et ce qu’elle fait ainsi que la satisfaction d’avoir contourné la technique de l’acrylique lui donnent la sensation d’un sentiment profond, d’une création complète. Elle aimerait apprendre à peindre à l’huile, me dit-elle, car c’est une technique pas facile à maîtriser.
En soi, les œuvres de Jeanne sont une relation au monde qu’elle souhaite, conceptualisées, mais aussi qui revoit la relation que nous avons avec le vivant. La nature est présente à chaque instant dans sa création car elle souhaite accentuer le message que l’être humain, provenant de la nature, doit respecter ce qui l’environne et apprendre à en tirer le meilleur.
Une artiste et une œuvre qui méritent d’être connues, tant par le vécu que par l’importance de ce qu’elles véhiculent.
Ne jamais renoncer face à inévitable est l’un des messages que je retiens de notre entretien. En effet, Jeanne a su garder présente sa vocation artistique malgré l’adversité et la porte encore aujourd’hui malgré les obstacles de la vie d’artiste qui se mettent sur son chemin que je pense florissant et irradiant.
Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie
Publié le 21 juin 2021
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