Il y a eu plusieurs balades,
et trois forêts à l’affût du vert.

La forêt, je l’ai toujours aimée.
Elle a toujours fait partie de mon univers. J’ai souvent tenté de faire partie du sien.
Chaque année, je guette le printemps et son aura de neuf, de renaissance et de mort mêlées.
Il y a ces déclinaisons de verts, ces jeunes feuillages, ces pousses encore fragiles
et ces fleurs timides…
Il y a les vieux arbres, les fougères anciennes, l’humus à l’odeur envoûtante,
les souches pourrissantes…
Toutes ces vies en pleine transformation qui nourrissent le monde de la forêt.
Et ces champignons étonnants.
Les insectes qui se réveillent, les petits animaux, les oiseaux,
craintifs…
Et les mousses qui tapissent les bois de douceur à la lumière des jeunes feuilles.


Et puis, il y a le bûcheronnage !
En 2020, pendant le confinement, je m’étais émue de l’abatage sauvage des forêts alentour.
J’avais appris la présence du Bostryche et que l’abatage était la seule solution pour tenter d’éloigner ce fléau.
Cette réalité, ajoutée à la situation qui était la nôtre pendant le confinement m’avait interpellée, et conduite à réaliser un travail graphique autour des souches, qui avait culminé dans une exposition personnelle chez Artemis, à Neuchâtel.

Il y a eu les sécheresses successives, les arbres fragilisés… Et la reprise forcenée de l’exploitation forestière !
Ici, en Suisse, depuis deux siècles on n’avait qu’une toute petite production sylvicole.
On importait le bois de construction et de chauffage, et les forêts prospéraient.
Puis, la demande se densifiant, la crise arrivant, on s’est mis à abattre.
Souvent sous prétexte d’aérer la forêt au profit des jeunes arbres, parfois pour cause de maladie, régulièrement parce que des essences étrangères implantées dans nos bois n’avaient rien à y faire…
Implantées par qui, ces essences étrangères ?
Dans un but philanthropique ?
… Je m’interroge ! Et vous ?

Aujourd’hui c’est une hécatombe !
Les troncs des arbres sacrifiés s’entassent en bordure de chemins, suant leur sève comme un dernier souffle de vie. Les branches, peu rentables, finissent en gros tas abandonnés au milieu des terrains dévastés par des engins de bûcheronnage démesurés.
On tue sans vergogne des êtres vivants incapables de fuir ou de se défendre !



Les forêts sont mitées !
De vilaines clairières s’ouvrent partout, parfois remplies de tubes en plastique dans lesquels les troncs souffreteux d’arbres nouvellement plantés tentent de se frayer un passage vers un air respirable…
Tout ça vous a des airs de champs de bataille, de champs d’honneur aux croix alignées en rang,
à perte de vue.


Heureusement, la forêt est résiliente, et on y trouve encore des coins préservés dans lesquels on peut rêver à un équilibre intact et à une magie sans zones d’ombres.
Mais pour combien de temps ?
Ce paradoxe du renouveau qui se teinte des blessures d’une exploitation sauvage m’afflige et me laisse sans voix.
Mes balades, si elles me nourrissent de beauté et de sérénité, m’emplissent tout autant de colère et de tristesse.
La forêt cicatrisera… du moins je le lui souhaite.
Et moi, je cherche comment traduire cette mort, aussi injuste et dévastatrice qu’une guerre qui n’en finit pas de ne pas finir.
Mon impuissance alimente ma révolte.
Et je récolte souches, terres et cailloux ; j’apprivoise cendres et charbon comme autant de mots,
comme un vocabulaire encore à inventer pour raconter cette nature qu’on agresse.


À droite: une tranche d’arbre passablement aérodynamique